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« Toubib » : le journal de bord filmé d’un étudiant en médecine

L’AVIS DU « MONDE » – À NE PAS MANQUER
Les journaux intimes ont ceci de particulier que tout y est merveilleusement variable. Selon l’inspiration, la disponibilité, la force des choses vécues, on les écrit avec plus ou moins d’allant, parfois on les oublie, l’habitude va et vient ; dans tous les cas, ils contiennent notre rythme. Au cinéma, les journaux intimes s’avèrent un genre idéal pour l’art du portrait, grâce au montage qui rapproche la matière bonne à garder. Toubib en est un magnifique exemple.
Pendant douze ans, Antoine Page a filmé son petit frère Angel, tout au long de ses études de médecine, entamées à Besançon. Par-delà la rareté du document, qui consiste à entrer dans la vie d’un jeune homme occupé par une infinité d’heures de révision, de pratique et d’examens, il en ressort un naturel sans pareil. On sait gré au futur docteur d’envisager les « face caméra » (au minimum tous les six mois) comme des occasions favorables à l’esprit d’escalier, aux remarques anodines, aux éclairs de génie, d’où procède une désinvolture très attachante, à peine contrariée par la mèche de cheveux qu’il tournicote machinalement.
La durée du tournage, rendue possible par l’autofinancement de la quasi-totalité du film – aucune chaîne de télévision ne se serait engagée à si long terme – est le grand privilège de cette chronique diariste. En condensant plus d’une décennie et 250 heures de rushs en à peine deux heures, Toubib offre le spectacle à la fois prosaïque et saisissant du passage du temps. Mais ce qu’il y a de plus frappant dans ce tour de magie noire, c’est la ligne droite de chemin de vie qui se dessine et vient confirmer la vocation première de l’étudiant.
Car Angel est entré en médecine comme on entre en religion, dans un mouvement intérieur, presque en souterrain, caché derrière ses montagnes de polycopiés, accordant quelques minutes au cinéma de son aîné, tôt le matin, lors d’un court trajet en voiture ou avant de se coucher. En choisissant la médecine générale, cette discipline sans vernis confrontée en première ligne au sujet des déserts médicaux, il infléchit le récit vers des questions plus politiques et sociales.
En même temps qu’il apprend à soigner un glaucome, loupe une prise de sang, s’initie aux tableaux d’anesthésie, Angel réfléchit à l’avenir des « médecins de famille ». Si les jeunes professionnels ne veulent pas vivre à la campagne, ils n’ont rien contre y travailler, songe-t-il. Pourquoi ne pas faire des roulements, soigner non-stop pendant deux mois, faire des pauses et reprendre ? Progressivement, le désir d’une pratique plus collective et horizontale, découverte lors d’un remplacement dans un centre de santé communautaire situé dans un quartier nord de Marseille, s’affirme.
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